Inondations : la leçon du quartier Matra à Romorantin

Le projet a transformé sa vie et la conception qu’il avait de son métier. Il y a dix ans à Romorantin (Loir-et-Cher), l’architecte Éric Daniel-Lacombe inaugurait une réhabilitation du quartier Matra, qui a rendu le site résilient aux inondations.

Depuis, l’enseignant à l’École nationale d’architecture de Paris-La Villette, directeur de la chaire « Nouvelles urbanités face aux risques naturels », est spécialiste de l’anticipation des risques naturels. Et parle du projet Matra dans le monde entier.

À l’heure où le Giec (*) vient de publier son 6e rapport mondial sur le climat, l’architecte insiste sur la transformation nécessaire de nos habitats et de nos imaginaires.

« Je crois en une architecte qui engage une convivialité avec la nature »

Éric Daniel-Lacombe (architecte, enseignant à l’école nationale d’architecture à Paris-La Villette)

À propos des inondations récentes en Belgique, en Allemagne ou à New York, vous n’aimez pas employer le mot de « catastrophe ». Pourquoi??

Éric Daniel-Lacombe : « Même si les effets sont bien sûr catastrophiques… En fait, une catastrophe, elle vient, elle s’éloigne, et on a l’illusion que tout peut continuer comme avant. Or dans les années à venir, il va falloir être capable d’appréhender les aléas climatiques, de se mettre à l’abri, et de vivre avec les bouleversements de la nature. Je crois en une architecture qui engage une convivialité avec la nature. »

L’État anticipe une crue de 1,20 mètre, auquel le principe de précaution qui naît à cette époque, ajoute trente centimètres. Du jour au lendemain, je dois dessiner le projet, en ayant conscience qu’il peut être recouvert d’1,50 m d’eau.

Vous faites le lien entre cette vague d’inondations et le projet que vous avez imaginé à Romorantin.

Éric Daniel-Lacombe : « Oui, à Romorantin en 2007, le maire, Jeanny Lorgeoux, est confronté à ce qu’il appelle, lui, « une catastrophe » : la fermeture de l’usine automobile Matra (en 2003), la perte de milliers emplois et de lien social. Il veut donner une nouvelle vie au site. Accepte sa métamorphose. Il lance un concours d’architectes que je gagne. Pendant deux ans, en 2008 et 2009, je commence une promotion classique du projet. Et puis, la sous-préfète de l’époque nous dit que l’État étudie les risques d’inondations, et que d’après ces études, il faut envisager une crue centennale de la Sauldre. L’État anticipe une crue de 1,20 mètre, auquel le principe de précaution qui naît à cette époque, ajoute trente centimètres. Du jour au lendemain, je dois dessiner le projet, en ayant conscience qu’il peut être recouvert d’1,50 m d’eau. Le promoteur me lâche. Je propose une concertation entre le maire et la sous-préfète. C’est ça l’invention du projet Matra : l’architecte comme lien entre des intérêts divergents. »

En quoi ce risque change vos plans??

Éric Daniel-Lacombe : « Je convoque l’inondation dans mon dessin. J’abandonne les rues perpendiculaires à la rivière, pour des rues parallèles qui raccompagneront l’eau. Je crée un très grand jardin, qui permettra à l’eau de traverser l’usine Matra, et je creuse un bassin de rétention pour la calmer. Ce qui sera décisif, c’est que l’État dira : désormais, sur un site à risques, on ne peut construire que 20 % de la surface. À Romorantin, cela signifiait construire un hectare et en réserver cinq à la rivière. Au fur et à mesure, on se met d’accord. Le quartier est conçu comme un affluent temporaire de la Sauldre. »

« Parler de grandes marées plutôt que de catastrophe »

Le quartier est partiellement relevé??

Éric Daniel-Lacombe : « Quand je creuse le bassin de rétention, je récupère de la terre que je mets sous la route, pour la surélever. Les habitants du quartier savent ainsi, quand il est opportun de s’inquiéter. Dans le bassin de rétention, il y a des plantes aquatiques et au-dessus, une passerelle, afin que chacun puisse, là aussi, appréhender la montée de la rivière. C’est aussi bien qu’une sirène, une alarme. »

En mai 2016, c’est l’inondation. La Sauldre n’était jamais montée aussi haut.

Éric Daniel-Lacombe : « On est monté à 1,45 m?! Dans le quartier Matra, l’eau est restée vingt-quatre heures, s’est retirée, et a engendré zéro dégât. Dans le quartier en face, l’eau est restée trois semaines?! C’est pour cela que je préfère parler de « grandes marées » plutôt que de catastrophe. À Romorantin, en 2016, on a connu une grande marrée. On doit apprendre à vivre avec ce phénomène. »

« La grande question, c’est comment transformer une source de désagrément, en un changement positif?? »

Comment faire adhérer à ce changement de point de vue??

Éric Daniel-Lacombe : « La grande question, c’est comment transformer une source de désagrément, en un changement positif?? On ne pourra pas interdire la construction en zones inondables. D’abord parce que des gens y vivent déjà. Il y a plein de gens vulnérables, dans des zones vulnérables. Et avec les effets du changement climatique, on connaîtra des migrations. La question, c’est : est-ce que la nature est un fléau, ou y a-t-il encore un potentiel d’amélioration de nos vies?? »

Propos recueillis par Marie-Claire Raymond

(*) Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a publié le premier volet de leur 6e rapport mondial sur le climat, le 9 août.

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