Inondations : les communes françaises face à la montée des eaux

Les ravages de la tempête Boris en Europe centrale (qui a touché deux millions de personnes et provoqué 24 décès à la mi-septembre) sont encore dans tous les esprits. Plus près de nous, les images des rues cannoises sous les eaux en début de semaine ont suscité l’émotion. Moins médiatisé, un cinéma de Ouistreham (Calvados) s’est retrouvé inondé il y a quelques jours en pleine projection.

Autant de phénomènes qui ravivent des souvenirs douloureux pour les 33 000 sinistrés du Nord Pas-de-Calais, une région historiquement exposée au risque d’inondation, mais particulièrement affectée depuis de longs mois. En poste depuis trois jours, Agnès Pannier-Runacher, la nouvelle ministre de la Transition écologique, dont le périmètre englobe « la prévention des risques », a d’ailleurs réservé son premier déplacement à Arques, dans le Pas-de-Calais où elle a été élue députée en juin dernier.

Comme l’ont rappelé les sénateurs Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux, rapporteurs de la « mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l’année 2024 » en présentant leur rapport, les phénomènes d’inondations se sont poursuivis tout au long de l’année. Ce 25 septembre, pas moins de 30 départements sont en alerte pluie/inondations. D’ores et déjà, un Français sur quatre est exposé à ce risque, et dans 85% des communes françaises, au moins un habitant est menacé.

Dérèglement climatique, urbanisation, pratiques agricoles

Le lien entre inondations et changement climatique est largement documenté. Ce 25 septembre, une étude du World Weather Attribution (WWA), un réseau de scientifiques internationaux qui étudient les liens entre événements météorologiques extrêmes et changement climatique, révèle que les pluies responsables des dégâts causés par Boris « ont été rendues deux fois plus probables » par le réchauffement climatique, et leur intensité de 7% plus importante.

Cette multiplication des inondations a des causes parfaitement identifiées : des précipitations plus fréquentes et plus violentes et une élévation du niveau de la mer, associées à une capacité d’absorption de l’eau par les sols limitée par l’imperméabilisation liée à l’urbanisation et par une évolution des pratiques agricoles  (sols labourés restant nus en hiver, haies arrachées). D’où un ruissellement plus important, et des inondations plus fréquentes.

Elles ne sont plus l’apanage des bords de cours d’eau ou de mer pour ce qui concerne les submersions marines, mais peuvent survenir du simple fait d’une concentration d’eau à un endroit et un moment donné. Mécaniquement, les zones, les biens et les personnes exposés sont toujours plus nombreux. Notamment en zone littorale, très densément peuplée, où le risque est aggravé par l’élévation du niveau de la mer et l’érosion côtière.

Des collectivités en manque de moyens

À Ouistreham, où un tiers de la ville est construit sous le niveau de la mer, le phénomène de haute marée associé à de fortes pluies, qui génère de 5 à 10 cm d’eau dans certaines rues, est bien connu. « Mais alors qu’il survenait une à deux fois par an, c’est maintenant jusqu’à cinq fois », témoigne son maire Romain Bail, élu de l’Association nationale des élus du littoral (ANEL). Cette évolution résulte de l’imperméabilisation (des espaces publics mais aussi privés, souligne-t-il) et de l’élévation du niveau de la mer.

L’élu tacle le manque de ressources dont disposent la plupart des collectivités littorales pour faire face à ces risques. Il n’y a parfois pas d’autre issue que de racheter les habitations à leurs propriétaires pour les reloger dans une zone moins exposée et de rendre ces zones à la nature. C’est ce que commence à faire, par exemple, la ville de Mandelieu-La Napoule. « Mais quid de l’effort national et collectif, incluant les assurances, pour accompagner les collectivités ? » s’interroge l’élu. Et de rappeler que pour les 50 000 habitations françaises concernées à 15 ou 20 ans par l’érosion du trait de côte, le coût s’élèverait à 8 000 milliards d’euros.

Il pointe aussi du doigt les injonctions contradictoires auxquelles sont parfois soumises les collectivités dans leurs initiatives. Ainsi, avant de « rendre 20 hectares à la mer » pour la laisser pénétrer plus avant dans les terres, il doit se livrer à une « étude quatre saisons » visant à vérifier l’absence de toutes flore ou faune qui pourrait souffrir de cette évolution.

Les avantages des solutions naturelles

Pourtant, ce genre de solutions, dites « fondées sur la nature », sont précisément celles que prônent les experts. Sans négliger la protection technique sous forme de digues par exemple, indispensable dans certains cas et à court terme, ces SFN présentent bien des avantages. « Elles sont nettement moins onéreuses et beaucoup plus efficaces », affirme Éric Daniel-Lacombe. Cet architecte urbaniste, qui a travaillé dans de nombreux territoires victimes d’inondations, de Romorantin à Mandelieu-la Napoule en passant par les vallées de la Vésubie et de la Roya, insiste sur la diversité des cas de figure entre le bord de mer et la montagne, les crues lentes ou rapides, mais défend dans tous les cas des « régulations naturelles », ni à 100% artificielles, ni 100% naturelles. Les rapporteurs de la mission de contrôle, eux aussi, évoquent des « méthodes douces et naturelles. »

Pour Sébastien Dupray, directeur de la Direction technique Risques, Eaux, Mer du Cerema – qui accompagne les collectivités dans leur adaptation au changement climatique, il importe de « ré-introduire les fonctionnalités de la nature dans l’aménagement du territoire », par exemple en désimperméabilisant les sols. Mais aussi de « penser le cycle de l’eau à l’échelle d’un bassin versant ». Ce qui implique une solidarité entre les acteurs. Un agriculteur pourra ainsi d’être dédommagé pour accepter que son champ soit inondé, ce qui permet un stockage de l’eau en amont et réduit le ruissellement.

« Il faut réfléchir à l’échelle de tout l’écosystème (qui inclut aussi les captages d’eau potable), ce qui passe par un gros de travail de partenariats sur le terrain, exige de mettre tout le monde autour de la table et nécessite une concertation des politiques publiques locales », renchérit Marie Evo, directrice du CEPRI, le Centre européen de prévention des risques d’inondation.

Apprendre à vivre avec le risque

« Les solutions fondées sur la nature présentent en outre l’avantage de répondre à des défis sociétaux, ajoute-t-elle.Elles favorisent une meilleure culture du risque, un autre rapport à la nature, une amélioration de la biodiversité… »

La France est l’un des pays européens les plus avancés en matière de lutte contre les inondations, et les PAPI (programmes d’actions de prévention des inondations) y ont été mis en place avant même l’entrée en vigueur de la directive européenne.

Pourtant, plus complexe encore à instaurer que des solutions d’adaptation concrètes, c’est surtout la culture du risque qu’il s’agit de diffuser. De la ministre aux experts, en passant par les sénateurs rapporteurs de la mission de contrôle, tous l’appellent de leurs vœux. Rappelant que « le dérèglement climatique, c’est se préparer à des risques qu’on n’a pas connus auparavant », Agnès Pannier-Runacher insiste sur la nécessité de « se préparer à l’imprévisible ».

Regrettant une forme de déni persistant, aussi bien parmi les ménages que les décideurs, les experts insistent sur les besoins de pédagogie et de formation. Quant aux deux sénateurs rapporteurs de la mission de contrôle, ils préconisent de « passer d’une logique de lutte contre le risque à une approche visant à mieux vivre avec le risque. » Rappelant que « l’adaptation d’aujourd’hui est la prévention de demain », Éric Daniel Lacombe souligne aussi le rôle de l’habitant lui-même, qu’il faut convaincre de jouer le jeu et d’adapter son comportement « avant, pendant et après l’inondation ». Le CEPRI travaille sur des « solutions aux bénéfices multiples ». « Il est plus facile de convaincre les particuliers d’engager des travaux d’adaptation aux inondations à l’occasion de travaux de rénovation énergétique et d’accessibilité », précise Marie Evo. Éric Daniel Lacombe, lui, envisage d’explorer « Comment vivre pendant l’inondation. » Entre lutte contre le risque et culture du risque, les approches se trouvent aujourd’hui au milieu du gué.

Dominique Pialot

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