Témoignage. 40 ans du Renault Espace : “Ça a été le grand moment professionnel de ma vie”, Philippe Guédon, père du monospace

Publié le 16/04/2024 à 06h00 Écrit par Vincent Coste

Il y a 40 ans, jour pour jour, le 16 avril 1984, une voiture d’un nouveau genre sortait des chaînes de l’usine Matra de Romorantin. Cette voiture, c’était l’Espace.

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Ils ont disparu de nos routes depuis longtemps, remplacés par les SUV. Et pourtant, ils y régnaient en maître dans les années 80 et 90. Mais qui donc ? Les monospaces pardi ! Et en ce 16 avril, le plus emblématique d’entre eux fête les 40 ans de sa mise en production. Retour sur une grande histoire industrielle dans la région, celle du Renault Espace, ou plus précisément du Renault-Matra Espace, dont trois générations ont été produites sur les chaînes de l’usine Matra de Romorantin.

En 1978, un ingénieur de chez Matra est envoyé chez Chrysler aux États-Unis par son patron Jean-Luc Lagardère pour un voyage d’études, afin d’observer l’industrie automobile locale. Cet homme, c’est Philippe Guédon, aujourd’hui âgé de 90 ans. Sa parole est rare, mais nous avons pu nous entretenir avec celui qui est considéré comme le père de l’Espace. Il nous raconte la genèse du projet.  

 Je suis resté quelques jours là-bas, cornaqué par un ingénieur qui avait mon âge, c’est-à-dire une quarantaine d’années. Au cours de ces visites, qui étaient d’un intérêt relatif puisqu’ils faisaient des voitures assez traditionnelles, l’ingénieur en question me racontait qu’à titre personnel qu’il avait l’habitude certains week-ends de partir à la pêche avec son fils. Pour ça, ils prenaient un van pour y dormir”.

 Il se trouve que j’avais un fils qui avait le même âge que le sien et qui aimait la pêche. Alors, je me suis dit que ce serait sympathique que je fasse la même chose. Mais je n’allais quand même pas acheter un van américain, c’est trop gros”. 

Petit à petit, l’idée a mûri, soit d’essayer de faire quelque chose qui soit un peu dans l’esprit du van américain, mais ramené aux dimensions européennes. Ça a donné une voiture monocorps en y ajoutant une idée qui à l’époque n’était pas étudiée aux États-Unis : celle du multi-usage par possibilité d’enlever les sièges, de les tourner et d’en faire aussi bien une voiture ordinaire qu’un engin plus ou moins utilitaire pour transporter des objets encombrants”.

Seulement neuf Espaces vendues le premier mois de commercialisation 

Une fois le premier prototype réalisé, ce dernier est présenté à Peugeot, avec qui Matra était en relation industrielle. Mais la firme au Lion refuse le projet. Matra se tourne alors vers Citroën qui le refuse aussi. Dernière solution Renault. La Régie donne son feu vert en décembre 1982, pour lancer le grand monospace. Avec tout même une interrogation : Ce qui m’intéresse dans ce genre de projet, c’est qu’on ne sait pas si on va en faire 80 voitures par jour ou 800”, selon les mots de Bernard Hanon, PDG de Renault de l’époque, rapportés par Philippe Guédon. 

À Romorantin, les équipes de Matra s’activent pour mettre en place les lignes de production de l’Espace. “On avait une usine surdimensionnée jusque-là. On avait donc de la liberté pour augmenter les cadences”, indique Philippe Guédon. La première Espace sort donc de l’usine le 16 avril 1984. Mais les débuts sont timides, puisque le premier mois de commercialisation, en octobre 1984, seules neuf voitures sont vendues. 

Mais petit à petit, la “sauce” commence à prendre. “Il a fallu attendre deux ans avant d’atteindre des cadences significatives”, précise Philippe Guédon qui ajoute qu’“au fur et à mesure que les ventes ont augmenté, on a eu la possibilité d’étendre sur des terrains qui étaient disponibles. Et d’embaucher des gens. Donc ça n’a pas posé de problème jusqu’à ce qu’on atteigne à peu près la cadence de 300 par jour qui était là la limite”. La demande est telle que l’usine Alpine, à Dieppe (76), est appelée en renfort pour ajouter 40 voitures par jour.

Trois générations et puis s’en va 

Mais en 2002, le couperet tombe et Renault décide de construire directement l’Espace, mettant fin à la collaboration avec Matra. La quatrième génération sortira donc des lignes de l’usine Renault de Sandouville en Seine-Maritime, le constructeur au losange étant persuadé que la demande allait encore augmenter. Un mauvais calcul pour Philippe Guédon : “Manque de chance pour eux, c’est qu’en réalité, la cadence de vente des espaces n’a jamais été en accroissement par rapport à ce qu’elle avait été du temps de Matra”. 

À Romorantin, l’arrêt de la production de l’Espace fait l’effet d’une bombe. Les premiers licenciements tombent. Un autre véhicule est pourtant construit dans le Loir-et-Cher, l’Avantime. Mais ce véhicule hybride, entre coupé et monospace, ne rencontre pas le succès. En février 2003, la fermeture définitive de l’usine est annoncée, laissant sur le carreau plus de 2 000 salariés. 

Aujourd’hui encore, la fin de l’Espace est vécue comme une tragédie, comme nous le confie un habitant de Romorantin, croisé en mars dernier dans l’ancienne usine Matra reconvertie en lieu d’exposition et d’animation. “La fin de Matra, ça a eu un impact sur la ville, elle n’est plus aussi dynamique qu’elle était. Quand il y avait Matra, le centre-ville était plus animé” témoigne celui dont le père a travaillé pour la firme. “C’était l’entreprise qui payait le mieux dans la région. Travailler chez Matra, c’était bien”, conclut-il.   

“Un véhicule qui s’insérait bien dans la manière de vivre des gens” 

Ça a été le grand moment professionnel de ma vie”, nous confie Philippe Guédon. “On est parti avec un contrat qui devait nous permettre de faire 45 voitures par jour. On est monté à 360. Quand on a arrêté l’espace, on en a fabriqué 874 242. Je n’ai pas eu de succès équivalent avant et je n’en ai pas eu après”, ajoute, non sans fierté, celui qui fut l’ancien PDG de Matra Automobile.

Pour expliquer le succès de l’Espace, il nous livre sa définition : “L’Espace, elle est choisie par les enfants, payée par le père et en général conduite par la mère”. Philippe Guédon poursuit : “C’est évidemment une caricature. Mais je pense que ça veut dire une chose, c’est un véhicule qui s’insérait bien dans la manière de vivre des gens. Aussi bien voiture ordinaire pour transporter plusieurs passagers, permettant d’aller chez les antiquaires et d’amener des affaires. Éventuellement bureau de travail. Et on commençait à arriver à une époque où les grands thèmes d’achat d’automobiles, comme la vitesse, l’accélération, n’étaient plus d’actualité pour la majorité de la population. Ce qui s’est confirmé par la suite”.

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Aujourd’hui, de nombreux passionnés font briller la flamme de Matra en général et celle de l’Espace en particulier. Des clubs existent dans toute l’Europe, où les propriétaires partagent leur passion et font admirer leur véhicule au public, à l’image du Conservatoire Philippe Guédon situé à Gièvres (41). Des clubs de passionnés proposent également de grands rassemblements pour exposer leur monospace fétiches. Des automobiles en parfait état, à tel point qu’il n’est pas rare de débusquer des modèles à plus de 10 000€ sur les sites de petites annonces. Ce qui fait dire à Philippe Guédon que “les membres de ces clubs ont des voitures en général entretenues de façon exceptionnelle. À tel point que je me demande si elles ne sont pas mieux que lorsqu’elles sont sorties d’usine”.

Et pour le constater, rendez-vous à Romorantin le 18 mai prochain devant l’ancienne usine Matra. À l’initiative du club Passion Espace, des dizaines de véhicules sont en effet attendus pour célébrer les 40 ans de cette voiture si particulière. 

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