Comme il existe des jours de marché à Paris ou à Romorantin, il y avait des jours d’engueulade dans leur couple. Ils ne s’envoyaient jamais des noms d’oiseaux. Ils ne disaient rien qui fût si blessant que les mots résonnent longtemps après une dispute. Ils s’engueulaient vivement mais en aucun cas pour une peccadille. Ils s’engueulaient toujours pour la même raison. Le lecteur ne connaîtra pas le motif. Un peu de mystère ne nuit pas aux histoires d’amour ni aux contes de fées. L’homme trouvait le sujet futile. La femme jugeait la cause essentielle. Ils n’étaient pas d’accord.
Ce samedi-là, ils s’engueulaient si fort qu’ils étaient au bord de la rupture. La femme négociait, selon la formule, avec la main sur la poignée de porte. Elle était comme ça, une porcelaine de sentiments construite d’une pièce. L’homme louvoyait entre le beurre, l’argent du beurre et la crémière. L’homme était comme ça. Et avec lui, nombre de quidams paraît-il. Le genre masculin aime le flou, le flottant ou le vague. Le mot « lâcheté » résume l’affaire.
La femme dit : « C’est fini. » Et elle raccrocha. C’était une algarade au téléphone. L’homme parut soulagé. Il pensa « bon débarras », un peu comme Yves Montand quand Romy Schneider le quitte dans César et Rosalie. L’homme avait vu des films, beaucoup de films, revu des films, toujours les mêmes, au point que souvent il pensait à une scène de Sautet, de Lelouch, de Truffaut, de Berri quand n’importe quel événement surgissait dans sa vie.
« Amourdamour »
Il se passa plusieurs minutes avant que l’homme ne reprît son téléphone. Elle ne répondait pas. Elle ne répondait plus. Il connaissait cette stratégie. Il laissa un, puis deux, puis trois, puis quatre, puis cinq messages vocaux. Il envoya des textos : « Tu as écouté mes messages ? » Elle dit que non, que ce n’était plus la peine, qu’elle savait tout ça, que cette fois, c’était la fin. Il battit la campagne des photos du smartphone qu’il largua en rafales sur le téléphone de son amourdamour – il l’appelait ainsi, « mon amourdamour » –, des photos de vacances, des photos de dîners, des photos de sourires, des photos où ils avaient l’air heureux, des photos par dizaines qu’ils avaient prises ensemble, la main allongée pour que la prise du selfie soit nette, des photos qu’on refait lorsqu’on n’est pas content : « Elle est moche, celle-là. On en refait une autre. »
La femme n’était jamais moche. Elle éclatait sur l’écran avec son sourire en clavier de piano, ses cheveux en bataille et cette lumière qu’elle dégageait comme le premier soir où ils avaient dîné ensemble. Tout était allé vite entre eux. Il avait l’intuition qu’il ne fallait pas traîner dans une histoire d’amour. Il se méfiait des Isabelle, des Sophie ou des Géraldine qui racontaient qu’« au début, Jean-Pierre ne leur plaisait pas du tout, qu’elles le trouvaient comme ci ou comme ça, qu’il avait fallu du temps pour qu’elles soient séduites. » Il pensait tout le contraire. Il aimait la magie des commencements. Il fallait une électricité, une énergie, un coup de foudre en somme qui renverse la table.
Il prenait conscience qu’elle était tout
Ils s’étaient vus pour la première fois à 20 heures un 5 août, et ils ne s’étaient plus quittés. Cette évidence décrivait leur histoire. L’homme disait souvent que le cœur avait ses raisons que la raison ne connaissait pas. Il disait aussi que les histoires d’amour sont plus faciles quand elles reposent sur des intérêts, quels qu’ils fussent, des intérêts bien compris, une sorte de marché ou de pacte que scellent parfois un homme et une femme. Ils deviennent associés à 50/50. Eux, c’était autre chose. Ils n’avaient pas d’intérêt à être ensemble. Ils s’aimaient, voilà tout. C’est forcément plus compliqué.
Perdu
Ce samedi-là, elle ne l’aimait plus. Il se sentit perdu. Les photos envoyées ne l’attendrissaient plus. Il écrivit des messages si simples qu’il aurait souri s’il les avait lus chez un autre : « Je ne suis rien sans toi ; Je suis perdu Tu es ma dernière histoire. » On ne déclame pas du Racine quand on est malheureux. Les heures passaient. Elle était inflexible. Il prenait conscience qu’il y avait dans sa vie les enfants, les parents, le job, les amis, la vie en un mot, que tout ça était important bien sûr, et même très important évidemment, mais que tout ça n’avait pas la même saveur avec elle que sans.
Il prenait conscience qu’elle était tout. Il eut peur. Peur de souffrir. Peur du manque. Peur de l’absence. Peur de cette dépendance. L’homme n’aimait pas souffrir. L’existence avait été douce. Il n’était pas habitué. Il avait eu de la chance, beaucoup de chance. Il téléphonait à nouveau, mais à la quatrième sonnerie, la messagerie vocale récitait la même annonce. Il envoya encore un texto pour lui écrire que rarement il avait énoncé des choses aussi précises. Elle répondit : « C’est la première fois effectivement. » Elle mentait sans doute ou elle ne se souvenait plus. Toutes ces années, il lui avait dit qu’il l’aimait. Mais l’essentiel n’est pas là. Elle avait renoué le fil. Ses mots ôtaient un poids de trois tonnes sur tout son être. Il revenait à la vie comme un noyé à qui le maître sauveteur fait du bouche-à-bouche. Quelques minutes plus tard, il lui dit de vive voix la chose la plus folle, la plus définitive, la plus invraisemblable : « Je t’aime. »
Le voyage
Je vous raconte cette histoire parce que je devine qu’elle est l’histoire de tout le monde, enfin de beaucoup. On me l’a rapportée, à moins que je ne l’aie vécue moi-même en rêve ou réalité, qui sait ?
Et puis un jour, on arrive à destination
J’ai un peu voyagé en amour. Il y a les traversées au long cours, les sauts de puce qu’on fait à côté de chez soi, les expéditions lointaines et les rencontres touristiques. J’ai aimé les préludes. Et puis un jour, on arrive à destination. Voilà neuf ans que mon amoureuse m’appelle « Praud ». Pour une raison que je ne m’explique pas, je suis sensible à cette caresse qui nomme l’amant d’une vie par son nom de famille.
Quand j’avais 15 ans, que mon cœur battait la chamade ou la grenadine, que je me prenais pour le jeune Werther, j’imaginais que les vieux de 50 ans vivaient leur vie sereins, toute passion éteinte, guéris des impermanences des sentiments. Un jour je t’aime, un jour je ne t’aime plus, est un parcours d’adolescence. Heureusement, pensais-je, la cinquantaine éteint les feux. Elle annonce les chaussons, la Boldoflorine et Questions pour un champion.
J’aurai 60 ans le 9 septembre ; je suis cerné par des messieurs grisonnants qui regardent des jeunettes, et par des femmes botoxées qui attendent le prince charmant. Je conseille aux grisonnants d’éviter la trottinette et aux botoxées d’arrêter les injections.
C’est dimanche ; c’est la fin de l’hiver ; je bulle avec mon amoureuse. Je suis un professionnel de la bulle. Je suis un paresseux contrarié. Je la regarde qui sèche ses cheveux dans la salle de bains. Je prends une photo. Qui sait, un jour, peut-être, lui enverrai-je…
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