La Croix : Vous avez écrit au cours de l’an dernier un livre sur la prière avec Marie et les saints, à la demande du dicastère pour l’évangélisation (1). Priez-vous Marie depuis longtemps ?
Sœur Catherine Aubin : J’ai été très déconcertée quand, en janvier 2023, j’ai reçu cette demande du Vatican. J’ai failli refuser. Je suis professeure de théologie, mais je n’ai jamais enseigné la théologie mariale. Cependant, le sanctuaire de Lourdes a été déterminant dans ma vocation religieuse. Entre 16 et 24 ans, j’y allais une semaine chaque année pour aider les pèlerins à se baigner dans les piscines. Marie, à Lourdes, est très présente dans le concret du quotidien. Ces séjours me réconfortaient, me sécurisaient. Je me disais que l’Eucharistie et le chapelet sont les deux choses les plus importantes au monde. Mais, une fois dans la vie religieuse, ma prière s’est tournée vers les trois personnes de la Trinité, et la présence de Marie s’est faite moins sensible.
Pourtant, les religieuses et religieux dominicains ne sont-ils pas très attachés à Marie ?
Sœur C. A. : En effet. Saint Dominique a placé son ordre sous son patronage. L’un de ses compagnons a eu une vision de Marie couvrant maternellement ses frères endormis. L’habit dominicain comporte le grand rosaire. Marie se fait souvent proche dans la vie quotidienne. Dans mon ordre, il est naturel d’avoir fréquemment recours à elle. J’ai donc fini par accepter la demande du dicastère pour l’évangélisation.
J’enseigne à Montréal depuis 2020. Dès que je m’y suis installée, j’ai commencé à dire un Je Vous salue Marie en début de cours avec mes étudiants, alors qu’à Rome je débutais toujours par un Notre Père. Pourquoi ce changement ? J’ai appris que Montréal, au moment de sa fondation il y a trois cent cinquante ans, s’appelait Ville-Marie. Un signe ? J’ai le sentiment que Marie m’aide à assembler les morceaux du puzzle de ma vie, elle qui, nous disent les Évangiles, gardait et veillait ce qu’elle vivait dans son cœur. Elle nous invite à relier les événements de notre quotidien pour y discerner la trace de l’Esprit Saint et de la parole de Dieu.
Comment l’écriture d’un livre sur la prière avec Marie a-t-elle ravivé sa présence dans votre prière personnelle ?
Sœur C. A. : La demande du Vatican m’avait fortement bousculée, aussi me suis-je tournée vers Marie pour accomplir cette tâche. Je voulais surtout transmettre une expérience de vie, et non un discours. À Lourdes, quand elle est apparue pour la neuvième fois à Bernadette, elle lui a demandé d’aller boire à la source. La jeune fille a dû gratter et creuser la boue à plusieurs reprises pour voir jaillir de l’eau claire. C’est un peu ce que j’ai vécu en écrivant ce livre : à force de creuser, la présence de Marie dans ma vie spirituelle s’est peu à peu révélée. Elle avait toujours été là, mais en arrière-plan, comme la source de Lourdes était cachée sous terre.
Quels effets cette présence a-t-elle eus pour vous ?
Sœur C. A. : J’ai retrouvé le goût et la saveur d’une vie spirituelle et intérieure caractérisée par la simplicité. Mettre en relief la vie de Marie dans sa vie spirituelle, c’est faire place à l’essentiel, à l’intériorité, plutôt qu’à la dispersion. Je redécouvre la puissance, la valeur, la douceur de l’intériorité, le calme, la paix, la sécurité du cœur profond. Et c’est plus facile à faire en compagnie de Marie.
J’ai découvert récemment la dévotion à Marie qui défait les nœuds, dont le pape François fait beaucoup la promotion mais que je ne connaissais pas. Une neuvaine et une prière lui sont dédiées. La prière a des mots qui me bouleversent : « Tu es l’unique consolatrice que Dieu m’a donnée, tu es la forteresse de mes forces fragiles, la richesse de mes misères, la délivrance de tout ce qui m’empêche d’être avec le Christ. » Depuis que je me suis mise à les dire dans ma prière, je sens des délivrances, des nœuds de peur et d’acceptation de soi se défont, la paix et la sécurité intérieure augmentent en moi. C’est un des fruits de la vie avec Marie : elle lève peu à peu les obstacles, les résistances, les refus.
Pour vous, fréquenter Marie peut avoir des conséquences concrètes dans nos vies ?
Sœur C. A. : Une de mes amies proches est croyante, mais non pratiquante. Elle a traversé il y a quelque temps une période de trouble. Elle se demandait si elle devait accueillir chez elle le fils de son deuxième mari, un enfant qui avait de graves difficultés. Un jour, à Rome, elle est entrée, très préoccupée, dans un petit sanctuaire assez peu connu, celui de la Révélation. Elle a vu alors la statue de Marie bouger et comme lui indiquer une direction. Elle semblait lui montrer un portrait de Jésus enfant. Mon amie a compris qu’elle devait accueillir chez elle le fils de son mari. Elle est sortie de l’église très en colère en criant : « Non, il n’en est pas question ! » Marie propose mais n’oblige pas. Cependant, six mois plus tard, le garçon vivait chez mon amie, et elle l’a élevé comme son fils. Elle avait d’abord pu exprimer un refus, pour prononcer ensuite un oui beaucoup plus profond. Marie respecte nos refus et nos oublis. Elle ne nous oublie jamais.
À votre avis, comment la Vierge s’y prend-elle pour faire avancer ceux qui la prient ?
Sœur C. A. : Dans les Évangiles, je suis très sensible aux questions qu’elle pose. À l’ange qui vient la trouver, elle demande : « Comment cela se fera-t-il ? » Prier avec Marie, c’est entrer dans un espace d’intelligence du cœur et de confiance radicale, comme elle et avec elle. Aux noces de Cana, c’est elle qui indique à Jésus que les convives vont manquer de vin et lui demande d’agir. Elle a une attitude de questionnement et de collaboration dans la foi et dans l’espérance, qui m’apprend à voir les besoins des autres et à m’adresser à Jésus. Dieu ne fait rien sans nous, mais il emprunte parfois des chemins inattendus et déconcertants. Marie a la souplesse de l’argile dans les mains du potier. Elle nous aide à entrer dans le projet de Dieu, même quand nous résistons. Jusqu’au pied de la croix, elle est restée debout, face à des événements extrêmement douloureux et incompréhensibles. Toujours prête à avancer.
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez elle ?
Sœur C. A. : Sa simplicité et son humilité. Elle a vécu cachée dans la petite bourgade de Nazareth, dont l’Ancien Testament ne parle jamais. « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? », se demande d’ailleurs Nathanaël dans l’Évangile de Jean (1, 46-51). Prier avec Marie nous simplifie. Dieu est simple et attend de nous une relation simple, une relation filiale. Les enfants et les gens simples, comme Bernadette ou les voyants de Fatima, savent au fond de leur cœur qu’ils ont un Père et une Mère aimants aux cieux qui les aiment et les protègent.
Mais la prière avec Marie ne leur est pas réservée. De grands théologiens de ma connaissance priaient quotidiennement le chapelet. Les intellectuels y retrouvent la simplicité de leur élan vers Dieu, Jésus, l’Esprit Saint. Et c’est une femme qui le leur permet, une femme qui a vécu dans le silence et la discrétion, sans reconnaissance de la part des hommes, mais qui n’est rien moins que la mère de Jésus. Prier avec Marie aujourd’hui est prophétique, cela place une femme au cœur de la tradition spirituelle.
Vous-même, priez-vous souvent le chapelet ?
Sœur C. A. : Oui, surtout quand je marche en ville, mon chapelet dans la poche. C’est comme une prière continuelle qui accompagne mon quotidien. D’ailleurs, j’ai dit la prière du cœur pendant plus de trente ans (2). Le caractère répétitif et automatique des Je Vous salue Marie que l’on égrène évoque pour moi les « je t’aime » que l’on se dit entre époux après des années de mariage. Même si je ne peux pas être en prière toute la journée, le chapelet est comme la note basse qui assoit une polyphonie, il m’arrime à mon intériorité et la soutient, il éloigne la tentation de la dispersion.
(1) Marie, où es-tu ? Aux racines des Écritures avec Marie pour trouver le sens de sa vie (Salvator, mai 2024).
(2) « Seigneur Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, prends pitié de moi pécheur. » Cette prière répétée au rythme du souffle du priant est très pratiquée par les orthodoxes.
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Bio express
1959. Naissance de Catherine Aubin à Romorantin (Loir-et-Cher).
Mai 1985. Entrée dans la vie dominicaine dans la Congrégation romaine de saint Dominique, à Saint-Leu (Paris).
Août 1985. Lors d’une neuvaine, découverte saisissante des neuf manières de prier de saint Dominique.
1993. Profession perpétuelle à Paris.
2002. Thèse de doctorat à Rome en théologie spirituelle, sur la place du corps dans la prière à partir des neuf manières de prier de saint Dominique.
2002-2020. Elle enseigne, prêche, fait la catéchèse et des émissions à Vatican News, écrit et publie plusieurs ouvrages sur la prière et sur la théologie de la vie spirituelle.
2005. Parution de son premier livre, Prier avec son corps à la manière de saint Dominique (Cerf), traduit en plusieurs langues.
2012-2018. Elle fait partie du comité de rédaction de Donne Chiesa Mondo avec Lucetta Scaraffia et d’autres femmes engagées.
2020. Arrivée à Montréal.
2021. Cofondatrice du Centre dominicain d’éthique et de vie spirituelle (CDEVS).
2024. Marie, où es-tu ? Aux racines des Écritures avec Marie pour trouver le sens de sa vie (Édition Vaticane et Salvator).
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Pourquoi nous l’avons fait
Pour entrer dans la prière en passant par Marie… Depuis le XIIe siècle, la dévotion à la Vierge n’a jamais faibli. Figure de tendresse et de miséricorde, mère très humaine qui a connu les joies et les douleurs de toutes les femmes, Marie est vénérée bien au-delà du christianisme. Elle suscite la ferveur jusque dans des spiritualités très éloignées. Mère de Jésus, elle est devenue la mère de toute l’humanité. Les apparitions qu’on lui reconnaît depuis des siècles ont renforcé le sentiment de proximité qu’elle inspire. Les innombrables sanctuaires qui lui sont dédiés jalonnent le monde entier. On y vient confier à sa sollicitude ses craintes et ses espérances, sa famille et ses enfants, sa vie et son destin. Mais aussi des villes et des nations entières. Elle a pris dans les cœurs une place bien plus grande qu’elle n’en a dans les Évangiles.
Pourtant, le peu que les Écritures disent d’elle est capital et dessine pour les croyants un chemin de foi, de confiance et d’espérance, dans les petites choses du quotidien comme dans les drames de la vie. C’est de ce cheminement avec Marie que témoigne la religieuse dominicaine Catherine Aubin. Professeure de théologie spirituelle et sacramentaire dans plusieurs campus, au Canada et en Europe, elle a reçu l’an dernier du Vatican une demande qui l’a prise de court : écrire un livre sur la prière avec Marie et les saints, pour aider les croyants à préparer l’année jubilaire 2025. La prière de sœur Catherine était alors plutôt tournée vers le Père, Jésus ou l’Esprit Saint. Mais elle se souvient qu’elle a trouvé sa vocation à Lourdes il y a quarante ans. Et se tourne à nouveau vers Marie pour honorer la demande de Rome. Bible et chapelet en poche, elle redécouvre les bienfaits surprenants d’une prière qui nous rend simples, intelligents, confiants. « Marie, assure-t-elle, nous apprend à voir les choses autrement, avec un regard de foi plus fort, plus constructif, qui ne s’arrête pas simplement aux apparences. Adopter le regard de Marie, c’est emprunter un chemin de vie. »
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